Pour la première fois de ma vie, je veux remercier Larry McVoy. Il a récemment éliminé une faiblesse majeure de la communauté du logiciel libre, en annonçant la fin de sa campagne de séduction à destination des projets de logiciel libre pour utiliser et promouvoir son logiciel non-libre. Bientôt, le développement de Linux n'utilisera plus ce programme et ne dispensera plus le message que les logiciels non-libres sont une bonne chose s'ils sont pratiques.
Ma gratitude est limitée, puisque c'était McVoy qui avait créé le problème en premier lieu. Mais j'apprécie toutefois sa décision de clarifier les choses.
Il y a des milliers de programmes non-libres dont la plupart ne mérite pas d'attention particulière, si ce n'est de développer un programme alternatif libre. Ce qui a rendu ce programme, BitKeeper, infâme et dangereux, c'était son approche marketing invitant de grands projets de logiciels libres à l'utiliser, de manière à attirer d'autres utilisateurs payants.
McVoy a rendu le programme disponible gratuitement pour les développeurs de logiciels libres. Cela ne signifiait pas qu'il s'agissait d'un logiciel libre pour eux : ils avaient le privilège d'être dispensés de payer, mais ils devaient se dispenser de leur liberté. Ils avaient abandonné les libertés fondamentales qui définissent le logiciel libre : la liberté d'utiliser le programme comme vous le souhaitez et pour l'usage que vous voulez, la liberté d'étudier et de modifier le code source à votre convenance, la liberté de réaliser et de redistribuer des copies et la liberté de publier des versions modifiées.
Le mouvement du logiciel libre dit depuis quinze ans : « Pensez au discours libre, pas à l'entrée libre (gratuite) ». McVoy disait le contraire; il invitait les développeurs à porter leur attention sur l'absence de prix au lieu de la liberté. Un activiste du logiciel libre aurait décliné cette suggestion, mais ceux dans notre communauté qui accordent plus d'intérêt à l'avantage technique qu'à la liberté et la communauté étaient susceptibles de l'accepter.
Le grand triomphe de McVoy fut l'adoption de ce programme pour le développement de Linux. Aucun autre projet de logiciel libre n'est plus visible que Linux. C'est le noyau du système d'exploitation GNU/Linux, un composant essentiel, et les utilisateurs l'assimilent souvent par erreur au système tout entier. Comme McVoy l'avait sûrement prévu, l'utilisation de son programme pour le développement de Linux fit une énorme publicité pour son logiciel.
Ce fut, intentionnellement ou non, une puissante campagne de propagande politique, disant à la communauté du libre que les logiciels refusant la liberté sont acceptables aussi longtemps qu'ils sont pratiques. Si nous avions adopté cette attitude à l'égard d'Unix en 1984, où en serions nous aujourd'hui ? Nulle part. Si nous avions accepté d'utiliser Unix au lieu de nous atteler à le remplacer, rien de tel que le système GNU/Linux n'existerait.
Bien sûr, les développeurs de Linux avaient des raisons pratiques pour avoir fait ce choix. Je ne débattrai pas de ces raisons, ils savent sûrement ce qui est pratique pour eux. Mais ils n'ont pas pris en compte, ou pas accordé d'importance, à la façon dont cela affecterait leur liberté ... ou les efforts du reste de la communauté.
Un noyau libre, même un système d'exploitation entièrement libre, n'est pas suffisant pour utiliser votre ordinateur en toute liberté; nous avons besoin de logiciels libres pour tout le reste aussi. Des applications libres, des pilotes libres, des BIOS libres : certains de ces projets affrontent de gros obstacles -- le besoin de faire de l'ingénierie inverse pour les formats ou les protocoles ; faire pression sur les sociétés pour qu'elles les documentent ; contourner ou éliminer les menaces des brevets ; ou encore rentrer en concurrence avec un effet réseau. Le succès demandera de la fermeté et de la détermination. Un meilleur noyau est souhaitable, sans aucun doute, mais pas aux dépens de l'affaiblissement de l'élan pour libérer le reste du monde du logiciel.
Quand l'utilisation de son programme est devenu controversée, McVoy respondit avec détachement. Par exemple, il promit de rendre son logiciel libre si la société devait fermer. Hélas, cela ne changera rien tant que la société existe. Les développeurs de Linux répondirent par : « Nous basculerons vers un programme libre quand vous en développerez un meilleur ». C'était une façon indirecte de dire : « Nous avons mis le bazar, mais nous ne ferons pas le ménage ».
Heureusement, tout le monde dans le projet de développement Linux ne considérait pas qu'un logiciel non-libre était acceptable et il y eut une pression constante pour une alternative libre. Finalement, Andrew Tridgell développa un programme coopératif libre et les développeurs de Linux n'eurent plus besoin d'utiliser un logiciel non-libre.
Tout d'abord, McVoy tempêta et menaça, puis choisit finalement de rentrer chez lui et de retirer ses billes : il retira la permission d'utilisation gracieuse de son logiciel pour les projets de logiciels libres et les développeurs de Linux utilisèrent un autre programme. Le programme qu'ils n'utilisent plus demeurera non-éthique aussi longtemps qu'il sera non-libre, mais ils n'en font plus la promotion en l'utilisant et ne donneront plus l'exemple aux autres de donner une basse priorité à la liberté. Nous pouvons commencer à oublier ce programme.
Nous ne devrions pas oublier la leçon que nous en avons tiré : les programmes non-libres sont dangereux pour vous et pour votre communauté. Ne les laissez pas prendre place dans votre vie.